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L’Arcadie : ailleurs et autrefois

Occurrences de l’Arcadie – ses habitants et leurs moeurs, ses paysages et son panthéon – dans la littérature gréco-latine :





Les faits :



L’Arcadie a existé dans l’antiquité classique : c’était une région montagneuse du Péloponnèse dans la Grèce centrale. Elle a existé également dans des textes d’histoire et de littérature de l’antiquité méditerranéenne. C’est là qu’elle est devenue un mythe – une parole et une image. 





Les récits :



Elle a existé également dans des textes d’histoire grecque et de littérature latine. Lorsque Polybe l’historien, natif de la région, la décrit depuis son exil à Rome, elle est déjà pour lui une terre lointaine. Il consacre un passage du Livre IV des Histoires vers 140 av. JC) à l’introduction de l’usage de la musique par ses pères, une pratique destinée à pacifier les moeurs de ce peuple inculte forgé à l’image de sa terre hostile.

En deux siècles, l’Arcadie est passée d’une réalité historique chez Polybe – contrée sauvage où l’on pratiquait des sacrifices – à son interprétation poétique dans le corps de textes chez Virgile et Ovide. Virgile dans Les Bucoliques , (vers 37 avant J-C) puis Ovide dans Les Fastes , (vers 15 après J-C) la transforment tour à tour en une terre idyllique où des bergers poètes et joueurs de flûtes côtoient le dieu Pan, où ils vivent nus, en harmonie avec la nature et les bêtes, dans une société sans règle ni hiérarchie. Le poète Théocrite, dans ses Idylles , (vers 350), inclut l’Arcadie « si féconde en troupeaux » dans la tradition littéraire des pastorales, ces courtes poésies dont les acteurs sont des habitants de la campagne. Une Arcadie poétique se constitue dans les textes, à l’écart des dures réalités historiques, comme un territoire à part, hors champ social, en dehors de l’éthique, un paysage montagneux où vit une communauté d’hommes, de dieux et de bêtes. Peu traitée par les philosophes, elle est plus matière à rêveries qu’à législation ou catégorisation. 







Les récits sont des faits :



Le passage de la description d’une réalité historique par Polybe à une fiction dans le corps de textes poétiques fait de l’Arcadie le lieu idéal de projections littéraires, comme l’écrit Jacqueline Dangel [1] : « Pure création poétique, ce monde a pour existence et durée l’espace et le temps du texte ». Ainsi, en passant d’une zone délimitée en histoire et en géographie à l’espace culturel des représentations poétiques imaginaires et collectives, l’Arcadie est devenue plus complexe, habitée, abritant des péripéties amoureuses ou des drames, variant selon ses différents interprètes. C’est lors de cette transition du régime de l’histoire à celui de la littérature, que l’Arcadie devenu un mythe chargé de cette double nature. Alors associée à l’Âge d’Or – ce temps d’innocence qui caractérise les prémisses de l’humanité et de la vie humaine – l’Arcadie poétique ouvre un espace de paroles, de musique et de chants. Lors de ce passage ontologique d’un régime réel à un régime littéraire dans l’antiquité, elle ne s’est pas éloignée dans une représentation purement poétique, elle s’est métamorphosée souvent et pour longtemps. 





L’Arcadie, un hors champ



Originellement inscrite dans une réalité géographique, l’Arcadie mythique contraste avec l’origine céleste du paradis chrétien. Au moment de l’émergence de l’Empire Romain de Jules César, cette Arcadie hédoniste se situe au-delà des catégories du bien et du mal posées par la morale chrétienne, elle est d’un temps où l’homme ne distinguait pas le monde physique du monde moral. Aussi offre-t-elle une alternative païenne au paradis chrétien, plus sélectif, plus définitif, et représente une promesse d’avenir. En l’absence de hiérarchie entre les ordres humain, animal et divin, son organisation horizontale fera d’elle le modèle d’une société anarchique. Ainsi, depuis son origine grecque, l’Arcadie affiche-t-elle son désaccord avec l’ordre de la civilisation chrétienne occidentale, la contredisant dans les faits et les mythes qui lui sont associés. Paradoxalement, le mythe se construit dans ce champ culturel tout en signifiant sans cesse qu’il n’y appartient pas. Parce que l’Arcadie est un lieu réel, à la fois terrestre et littéraire, elle est un espace autre, une hétérotopie comme l’énonce Michel Foucault en 1967 : « Il y a des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver dans la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés […] Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les autres emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies… » [2]

 Le mythe de l’Arcadie représente la possibilité d’un hors champ, un lieu sans règles ni lois a priori qui se manifeste dans des zones de non droit peuplés de toutes sortes dissidents (hors-la-loi du Far West, hippies, pirates...).

Riche de cette double origine : un lieu à la fois terrestre et mythique, historique et poétique, l’Arcadie est réapparue dans l’histoire précisément aux moments d’espoirs et de changements politiques comme une promesse d’avenir.


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1. Jacqueline Dangel, “Chanter en dialogues dans la poésie latine : Esthétique du vrai ou beau mensonge ?”, in Revue des études latines, 2003, vol. 81, p. 121, ed. Les Belles lettres, Paris

2. Michel Foucault, « Des Espaces Autres », (1967), Republié in Daniel Defert, François Ewald, « Dits et écrits 1954-1988 », t. IV, Gallimard, Paris, 1994, pp. 752-762

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