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Ovide

Ovide, Les Fastes , Livre 2, chap. 270 - 350 :

“On dit que Pan, dieu du troupeau, était vénéré chez les anciens Arcadiens ; il était partout présent sur les sommets d’Arcadie. (…) Pan était le dieu du bétail, Pan était le dieu des cavales, il recevait une offrande pour assurer le salut des brebis. (…) Le dieu lui-même, véloce, aime courir sur les hauteurs, et c’est lui aussi qui provoque les fuites soudaines. Le dieu, qui est nu, veut que ses servants soient nus ; et un vêtement serait bien incommode pour courir. (…) Mais pourquoi principalement Faunus [1] évite-t-il les vêtements ? Une anecdote ancienne, pleine de sel, nous l’explique. Un jour, le jeune Tirynthien accompagnait sa maîtresse ; Faunus, du haut d’un mont, les aperçut tous deux. Il les vit, s’enflamma et dit : "Divinités de la montagne, plus rien ne me lie à vous : voici désormais l’objet de mon ardeur." La Méonienne s’avançait, ses cheveux parfumés sur les épaules, attirant les regards avec son vêtement tissé d’or. Elle était cependant à l’abri des chauds rayons du soleil, grâce à Hercule, qui tenait dans sa main une ombrelle dorée. Déjà elle rejoignait le bois de Bacchus et les vignes de Tmole, tandis qu’Hespérus, humide de rosée, s’avançait sur son cheval sombre. Omphale pénètre dans une caverne tapissée de tuf et de roche vive ; tout près de l’entrée coulait un ruisseau au doux gazouillis. Tandis que ses serviteurs préparent repas, vins et boissons, elle revêt l’Alcide de ses propres atours. Elle lui tend ses tuniques légères, teintes de pourpre de Gétulie, elle lui passe la souple ceinture qui à l’instant lui serrait la taille. La ceinture est trop courte ; Hercule donne du jeu aux attaches pour laisser le passage à ses grandes mains ; il avait cassé les bracelets, qui n’étaient pas adaptés à ses bras et ses énormes pieds rompaient les fines lanières des sandales. De son côté, elle prend la lourde massue, la dépouille de lion et les plus petits des traits enfouis dans leur carquois. Ainsi parés, ils prennent leur repas, puis livrent leurs corps au sommeil ; ils avaient posé les lits côte à côte et reposaient séparément : la raison en était qu’ils préparaient en l’honneur de l’inventeur de la vigne, un sacrifice qu’ils accompliraient, au lever du jour, en état de pureté. Il était près de minuit. À quelle audace renonce un amour sans retenue ? Dans l’obscurité, Faunus parvint à l’antre humide ; voyant leurs compagnons abîmés dans le sommeil et le vin, il se met à espérer que les maîtres connaissent la même torpeur. L’amoureux entre et erre un peu au hasard ; prudemment il tend les mains en avant et progresse à tâtons. Il était parvenu à la couchette convoitée du lit de repos, et, dès sa première tentative, était près d’atteindre son bonheur ; touchant la toison du lion fauve hérissée de poils, il prit peur et retint sa main ; épouvanté de frayeur, il recula, comme souvent un voyageur retire son pied quand il se trouble à la vue d’un serpent. Alors, il touche les étoffes délicates du lit voisin, et se laisse abuser par cet indice trompeur ; il monte et se couche sur le lit tout proche de lui ; son membre gonflé était plus dur qu’une corne. Entre-temps il relève les tuniques à partir du bas : des jambes rugueuses apparaissent hérissées de poils. Faunus tentant d’autres gestes, le héros de Tirynthe le repoussa brusquement, et le fit tomber du haut du lit. Un bruit retentit ; la Méonienne appelle ses suivants, demande de la lumière ; on apporte des torches ; les faits sont manifestes. Faunus, projeté avec force du haut du lit, pousse un gémissement et a bien du mal à se relever de la terre dure. Alcide rit, de même rient ceux qui l’ont vu à terre, la jeune femme de Lydie se rit aussi de son amoureux. Abusé par un vêtement, le dieu n’aime pas les vêtements trompeurs et invite des hommes nus à célébrer son culte.”

Nu comme pan, nu comme un oiseaux migrateur, nu comme un geais, nu comme un vers

Ovide en témoigne, l’opinion selon laquelle les apparences vestimentaires sont trompeuses est antique. Pour éviter tout risque d’erreur (prendre Hercule pour Omphale), les adorateurs de Pan préfèrent se montrer nus et ainsi, ne rien cacher. C’est aussi la conduite des premiers nudistes modernes dont l’histoire est racontée en détail par Dian Hanson dans Naked as a Jaybird  [2], l’anthologie d’un magazine nudiste ultra productif. Les pionniers au XXème siècle sont allemands et s’appellent les « Wandervdögel » – les oiseaux migrateurs. Ils arpentent les campagnes en 1900, marchant, chantant et jetant leurs vêtements en signe de protestation contre l’industrialisation de l’Europe, énonçant une crainte visionnaire sur le devenir machinique des corps. Leur idéalisme s’attache alors à un état primitif des corps qui devrait s’exprimer en dehors de toute forme d’asservissement social représenté par les vêtements. Ils ont fondé la « Nackultur » encore pratiquée en Allemagne en particulier. C’est aussi en signe de protestation contre le puritanisme castrateur de la société américaine (comme en témoigne la couverture du magazine The Nudist de 1934 où le sexe de l’homme nu est très simplement gommé) qu’une seconde vague de nudistes émerge comme au premier jour, dans les années 1965, sur la côte Ouest des Etats-Unis. Avec les hippies, les nudistes militent pour la paix, l’amour, la liberté, la candeur et la nudité …. Quelques-uns d’entre eux, les Jaybirds , du magazine éponyme, ont laissé des traces éditoriales. Le magazine publie ses meilleurs pages entre 1965 et 1968 : les modèles – nudistes militants ou occasionnels – posaient et se photographiaient dans des mises en scènes bucoliques joyeuses et sexy à la fois, les modèles – nudistes militants ou occasionnels – posaient et se photographiaient dans des mises en scènes bucoliques joyeuses et sexy à la fois, dans des poses extravagantes, accessoirisés d’objets banals et quotidiens. Leur noms, les “geais”, les affilie, par le hasard des formules, aux « oiseaux migrateurs » des origines mais fait surtout écho à l’expression anglo-saxonne « Naked as a Jaybird », qui donne dans un français nettement moins poétique mais plus imagé : « Nu comme un vers ».

Comment passer de l’homme naturellement nu à l’homme culturellement nu ?

Si l’homme culturel est celui qui a su passer d’une pure subjectivité désirante (vivre nu) à une forme d’objectivité productive de biens échangeables (l’imagerie du nu), on peut se demander si les Gelitin cherchent à retrouver, par dessus d’épaisses couches culturelles, un état naturel de productivité désirante (vivre et se représenter nu) ?

Quelques éléments de réponse dans cette interview de Tobias Urban, un des quatre membres du groupe Autrichien Gelitin, le 7 mars 2008 dans leur exposition La Louvre à l’ARC / Musée d’Art moderne de la Ville de Paris :

Pour la traduction française de l’interview cliquez-ici

Le modèle créatif qui consiste à fonctionner en circuit fermé entre les orifices d’ingestion et de digestion, entre la bouche et l’anus, renvoie une image de l’Arcadie collective réduite à sa plus simple expression : une communauté autarcique, vivant sur ses propres ressources naturelles, dont les corps produisent leur propre matière de création dans un écosystème artistique économe. “Nous essayons d’être aussi directs que possible” devient alors sans doute l’énoncé le plus juste pour qualifier la pratique de Gelitin. Basé sur la spontanéité, il inscrit le collectif en prise directe avec leur expérience du présent. C’est pourquoi Tobias Urban dit ignorer la culture hippie parce qu’elle n’appartient ni à leur histoire personnelle ni à leur environnement immédiat. Alors que le plaisir de la création, le retour sur des sensations refoulées, les dimensions variables du collectif, l’esprit participatif, la nudité candide, la primauté accordée à l’expérience et à l’intensité du présent sont leurs modes d’actions quasi exclusifs. Ces leitmotivs signalent une tentative de libération des normes culturelles et sont autant de propositions que Gelitin empruntent à la contre-culture hippie.

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1. Faunus est assimilé au dieu Pan chez Ovide et dans l’antiquité latine.

2 Naked as a Jaybird , direction Dian Hanson, Editions Tashen, Cologne, 2003.

3. Gelitin, Arc de Triomphe, Rupertinum, Salzburg, Autriche, 2003

4. il s’agit de la série de photographies ständerfotos – nudes, USA, Mexico, Switzerland, Australia, 1998 - 2003, photographs of romantic microsculptures, présentées dans l’exposition La Louvre, à l’ARC / Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 2008 : on voit chacun des quatre membres de Gelitin, debut, le sexe en érection devant un paysage naturel.

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