Peio Aguirre : Hier, vous avez parlé dans notre séminaire de votre projet Panel 2 : « Nothing better than a touch of ecology and catastrophe to unite the social classes… » C’est une exposition que vous avez présentée au Gasworks de Londres en 2008 et, sous une forme légèrement modifiée, à l’Arthur Ross Architecture Gallery de Columbia University en 2009. Cette exposition se rapporte notamment aux rencontres internationales du design d’Aspen, dont le thème était en 1970 « Environment by Design ». Pouvez-vous préciser ce que vous en avez retenu en particulier pour votre exposition ?
Martin Beck : Commençons par faire la différence entre l’exposition « Panel 2 » et les rencontres elles-mêmes. L’exposition déborde le cadre des rencontres de 1970 proprement dites. « Panel 2 » traite de ce que j’appelle Aspen complex, terme qui englobe un ensemble d’épisodes de l’histoire culturelle, d’objets et d’œuvres d’art. Aspen désigne en anglais le peuplier tremble. C’est le nom d’une ville dans le Colorado, où les rencontres internationales du design se sont tenues chaque année de 1951 à 2006. C’est le site d’une expérience de cartographie virtuelle réalisée dans les années 1970. Dans les années 1960, c’était également le titre d’une revue sous coffret. Et la liste pourrait s’allonger aisément. Plusieurs de ces récits s’entrecroisent dans mon exposition.
PA : C’est donc un récit parmi d’autres ?
MB : Les rencontres d’Aspen sont la clé de voûte qui ancre le projet dans le temps et dans l’espace, une espèce de charnière où le reste vient s’articuler afin de mettre en avant d’autres aspects.
PA : Il vous arrive assez souvent d’évoquer un épisode de l’histoire du design. Comment avez-vous décidé de vous lancer dans ce projet en particulier ? Et quelle est votre méthode de travail ? Vous avez expliqué hier votre parti pris d’envisager une discipline dans la perspective d’une autre : appréhender le design et l’architecture sous l’angle des arts plastiques et réciproquement. Parlons plutôt de la méthode même, depuis la conception du projet d’exposition jusqu’à la création d’œuvres d’art à partir de faits historiques. Quel est le rapport de l’exposition à la réalité historique, à la donnée aspen sous ses multiples facettes ?
MB : Chaque projet a plusieurs points de départ et fait intervenir des méthodes diverses. Certaines relèvent d’une recherche classique sur l’histoire, les discours, les faits et les archives. Il y a aussi une recherche sur la forme et la création plastique. Cette (en)quête des thèmes et des formes se poursuit en parallèle. Les deux s’entremêlent par moments. À intervalles réguliers, je rassemble des données issues de mon enquête, des incidents mineurs, des objets ou des associations à valeur emblématique, qui peuvent déboucher ensuite sur des questions plus vastes. Ils ont la capacité de servir de métaphores pour des observations et des réflexions d’une portée plus générale.
PA : Vous mélangez les objets historiques avec des œuvres créées pour la circonstance. Peut-on vous comparer à un essayiste, dans un registre différent ? L’exposition comme discipline artistique offre-t-elle un moyen de réunir des éléments disparates ?
MB : L’exposition est à coup sûr un moyen privilégié de rassembler des éléments divers dans un même espace. Mais je n’irai pas jusqu’à comparer avec le genre de l’essai, qui a une finalité et une structure très claires. Il suit un trajet linéaire pour aller de A vers B, et c’est une forme close par définition. L’exposition comme discipline artistique présente l’avantage de rester ouverte sur d’autres chemins possibles, permettant de bifurquer et de prendre des traverses sans penser à la conclusion. C’est le lieu des croisements et des carrefours. Je ne cherche pas à dérouler un récit tracé au cordeau comme la plupart des essais et même des documentaires. Ce n’est pas mon propos. Moi, ce qui m’intéresse, c’est l’intersection, la rupture, le paradoxe.
PA : Le genre de l’essai se caractérise notamment par l’utilisation d’une matière première qui était déjà là. Vous aussi, vous invoquez des références, vous ne partez pas de zéro, mais de données historiques existantes, et, sur ces bases, vous bâtissez des réseaux et des connexions. Je ferai aussi une différence avec les stratégies de détournement ou d’appropriation qui retournent aux styles du passé dans une optique postmoderne. Vous ne recyclez pas le passé. Prenons le documentaire d’Eli Noyes et Claudia Weill, IDCA 70, que vous citez dans « Panel 2 ». Le film fait partie de l’exposition tout en restant à part. Quelle est la situation exacte de ces références ?
MB : Je ne crois pas que l’on puisse laisser les références de côté. Un artiste travaille toujours à l’intérieur d’une culture. Il n’est pas possible de se placer en dehors. Certaines de mes références correspondent à des faits historiques précis, des productions culturelles, des personnes, des modes d’action réels, etc. Je m’efforce de rendre visible la spécificité culturelle et historique, d’en faire un aspect de mon travail. Elle devient plus évidente lorsqu’un objet d’une autre période côtoie quelque chose que j’ai créé récemment. L’exposition permet au public, et à moi aussi en tant qu’artiste, de regarder les relations qui se dégagent de ces juxtapositions pour découvrir un point de vue différent de la culture et du savoir. Les époques, les modes de création et les perceptions de l’espace peuvent ainsi s’entrecouper. L’exposition offre un support propice aux intersections.
PA : Dans « Panel 2 », la feuille du peuplier tremble (aspen) joue un rôle important sur le plan des formes et des idées. C’est un motif qui sert à organiser métaphoriquement une grande partie des données relatives aux divers récits d’Aspen. Dans quelle mesure les formes que vous utilisez s’inscrivaient-elles déjà dans la sphère culturelle ? Vous rappelez des faits historiques rarement évoqués, par exemple la création par George Nelson du module d’exposition tubulaire extensible Struc-Tube. Vous avez donné une vie nouvelle à cette invention relativement méconnue en réactivant un épisode de l’histoire. Quel est le rôle de l’artiste historien ? De quelle manière peut-il contribuer à écrire (ou réécrire) l’histoire des disciplines artistiques ?
MB : Je tiens à répéter que je ne suis pas historien. Je m’exprime en tant qu’artiste. L’historien fait des choses que je ne veux pas ou ne sais pas faire, et qui ne m’intéressent pas forcément. Mais je m’intéresse à l’histoire quand elle éclaire certains aspects de la culture actuelle, quand elle détermine notre façon de voir et de comprendre les choses. Il ne s’agit pas de « dire l’histoire », mais de voir comment le présent se construit à travers des figures du passé. Cela ressemble peut-être à de la science-fiction, mais la question est : comment identifier, au présent, les futurs possibles enfouis dans le passé ?
PA : Des archéologies du futur...
MB : Exactement ! C’est peut-être mon objectif ?
PA : On pourrait évoquer le contraste entre une amnésie collective grandissante et les stratégies culturelles centrées en permanence sur la redécouverte du passé. Il y a là une contradiction.
MB : J’ai des doutes sur cette notion d’amnésie. Il y a toujours, bien sûr, une certaine distanciation, un désir d’oublier. Il faut se débarrasser du passé pour aller de l’avant. N’est-ce pas la vocation même du passé ? Peut-être que l’on n’a pas envie de s’occuper aujourd’hui de ce qui a pu se passer hier. Il semble plus facile de regarder ce qui s’est produit plus de trente ans auparavant, avec un recul suffisant pour échapper à l’enchevêtrement des souvenirs.
PA : Cela me rappelle la remarque de Fredric Jameson au sujet de la nostalgie.
MB : Ou d’une trop grande proximité avec le passé ?
PA : Il faut sans doute attendre au moins vingt ans avant de pouvoir revisiter le passé. C’est ainsi que la nostalgie fonctionne dans la mode et dans la société de consommation. Revenons à votre « Panel 2 » et aux rencontres d’Aspen. Nous sommes à un moment où la problématique de l’écologie s’impose dans le débat de manière urgente. Je me demande ce que pourraient nous enseigner à la fois votre exposition et les rencontres du design de 1970, avec leur thème « Environment by Design ». Quelles sortes de répercussions peuvent-elles avoir sur la période actuelle ?
MB : C’est ce que je n’ai pas cessé de me demander quand j’ai commencé à travailler sur ce projet. J’en ai beaucoup discuté autour de moi en me gardant de transposer directement dans le temps présent la situation de 1970. Il serait facile de se livrer à une espèce de « réflexion rétro-prospective » et de dire : « Oh, mais ce débat a déjà eu lieu à Aspen en 1970, essayons d’y chercher des réponses. » Je ne crois pas que l’on puisse établir cette correspondance entre le présent et le passé, parce que le contexte, le rapport de forces, les acteurs en présence et les défis sont très différents. En abordant mon matériau de départ, je me suis concentré sur l’émergence, dans ce cadre précis, d’un discours complexe transversal, qui touche en même temps l’écologie, les modes de communication et la cartographie.
PA : L’exposition n’a donc pas de finalité pédagogique en soi, malgré les nombreux aspects pédagogiques de votre démarche.
MB : Non, il n’y a pas de morale de l’exposition.
PA : Cela me rappelle la formule de Gregory Bateson, « il y a une écologie des mauvaises idées, tout comme il y a une écologie des mauvaises herbes ». Il voulait dire par là que l’écologie est partout, qu’elle fait partie de n’importe quel comportement éthique, qu’on ne peut pas y échapper.
MB : Prenons un exemple. La vidéo The Environmental Witch-Hunt (La Chasse aux sorcières écologique) ne délivre aucun message prédéterminé. On voit un groupe de personnes qui errent dans une forêt de peupliers trembles. Rien permet de savoir comment elles y sont entrées, ni si elles en sortiront. Elles marchent sans suivre une direction précise. À un moment, elles traversent l’écran de gauche à droite et, à un autre, elles vont en sens inverse.
PA : Sont-elles enfermées dans la forêt ?
MB : Peut-être pas. Ces gens cherchent quelque chose sans avoir de but apparent. On ne sait pas d’où ils viennent ni où ils vont au juste. La vidéo montée en boucle contient deux scènes où les protagonistes s’arrêtent de marcher. Dans l’une d’elles, un homme et un femme du groupe s’entraînent pour un discours dont on ne saisit pas la nature. Ils répètent, travaillent les intonations, etc., tout en essayant de comprendre le sens : « C’est bien ça ? » Ils s’appliquent à prononcer le discours d’un ton assuré alors même qu’ils sont en train de saper leur propre crédibilité. Les certitudes s’ébranlent et d’autres horizons s’ouvrent. Personne n’est enfermé. À la fin de Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, oui, pour le coup, les personnages sont enfermés. Ils se cachent dans la forêt et chacun porte en lui la mémoire d’un livre afin de la sauvegarder. C’est une vision apocalyptique définie par la clôture.
PA : Votre vidéo servirait donc à relier le passé au présent, comme une passerelle entre deux époques.
MB : D’une certaine façon, oui. Mais la vidéo se situe résolument dans le temps présent. Ce n’est pas un film en costumes d’époque. J’ai utilisé les techniques actuelles et cela se voit. Il n’y a aucune imitation fétichiste des effets visuels anciens. C’est un « produit du jour ».
PA : La relation entre art et design est une thématique fréquente dans l’art contemporain depuis un certain temps. Qu’est-ce qui différencie votre approche personnelle ? Vous interrogez l’histoire du design, mais vous ne créez pas d’objets hybrides à mi-chemin entre art et design. Votre position est assez radicale.
MB : Effectivement, je ne dessine pas de lampes ni de camping-cars. Si les intersections entre les deux domaines m’intéressent, je veille malgré tout à respecter leurs frontières respectives. Paradoxalement (ou peut-être provocativement), je ne m’occupe pas du design, ni de l’architecture. Ce qui m’intéresse, c’est de voir comment notre environnement bâti produit des conditions et des logiques sociales, ou comment les conditions et les logiques sociales engendrent des formes. Le design et l’architecture y jouent un rôle important, mais mon travail ne porte pas sur des objets ou des architectures. Il traite de la relation entre forme et société.
PA : Et de l’idéologie qui sous-tend certaines stratégies, certains objets marquants dans l’histoire du design.
MB : Il y a peut-être autre chose que l’idéologie. Par exemple, nous sommes assis sur des chaises Bertoia, très belles et assez confortables. On peut avoir envie d’observer leurs effets sur notre conversation, de voir comment elles déterminent notre position assise et comment cette position à son tour détermine notre rapport aux autres personnes présentes dans la même pièce. Ces chaises ont une influence sur notre manière d’être ensemble. Dans quelle mesure un meuble de créateur me constitue-t-il ? Quels sont les enjeux historiques, esthétiques, politiques ? En quoi ces chaises déterminent-elles notre conversation ? Ou inversement : en quoi la relation que je veux instaurer avec autrui détermine-t-elle les formes des objets ?
PA : Les objets créés par George Nelson doivent moins vous intéresser que ses écrits.
MB : En fait, j’aime beaucoup les créations de Nelson et j’en utilise tous les jours. Une réflexion artistique m’intéresse quand elle s’interdit d’isoler l’objet de son contexte social. Comme je l’ai dit hier, j’ai lu un livre passionnant de Bruno Latour en venant ici. Il distingue trois domaines en interaction constante : d’abord, l’environnement bâti, les objets, les choses inanimées, dépourvues de conscience et de faculté motrice ; ensuite, l’environnement social, notre vivre-ensemble ; et, enfin, un discours qui en reste au niveau de la représentation. C’est à la confluence de ces trois domaines que je voudrais situer mon rapport au design.
PA : La liberté de l’artiste réside peut-être dans cette possibilité qui lui est offerte d’être toujours un amateur ou un dilettante.
MB : Je dirais même d’être à la fois expert et dilettante. Ce qui nous ramène à la question des disciplines. Les artistes se définissent traditionnellement par leur technique et les savoir-faire associés. « Je suis peintre », « je suis sculpteur », etc. Ils acquièrent une expertise grâce à la pratique du métier. Cette conception technique des disciplines artistiques ne me paraît pas intéressante. Je les concevrais plutôt comme des systèmes abstraits, des séries de règles (et de dérogations à ces règles) applicables selon des modalités diverses.
PA : Les techniques et les savoir-faire sont quand même un aspect de la discipline, non ? Hier, vous nous avez montré des schémas que vous avez exécutés pour préparer l’exposition « Panel 2 ». Ils paraissent sommaires, mais ils sont totalement limpides et même beaux. Il s’agit de trouver le bon outil pour la bonne destination au bon moment et au bon endroit, tout en l’adaptant à ses fins personnelles. L’artiste gère tout le temps la dualité entre professionnalisme et amateurisme.
MB : J’ai appris à la longue que la « liberté de mal faire » pouvait devenir un atout. C’est également un monstre qu’il faut museler de temps en temps. Par exemple, il y a des choses que je crois savoir faire à peu près, sans atteindre une qualité irréprochable. Si un certain degré de compétence me semble nécessaire, je m’adresse à un professionnel au lieu de fétichiser le dilettantisme. Mais si je ne ressens pas ce besoin, une moindre compétence peut ouvrir des voies nouvelles — encore que ce soit possible aussi avec un professionnel qui accepte d’expérimenter. Il n’y a pas de réponse tranchée. C’est la dualité elle-même qui est intéressante.
PA : Avez-vous travaillé avec quelqu’un d’autre sur la vidéo de The Environmental Witch-Hunt ?
PM : Oui, avec un directeur de la photo accompagné de ses assistants, et ensuite, en postproduction, avec un monteur professionnel.
PA : Et vos photographies ? Je pense notamment à celles du banc Quaderna de Superstudio, que vous aviez prises en 2005 pour votre projet an image-guide.
MB : J’avais fait appel à un photographe culinaire parce que je voulais travailler avec un professionnel qui sache manipuler l’espace autour du gros plan. Pour d’autres œuvres, comme Rumor (June 14, 1969), j’ai pris moi-même les photographies. Pour revenir à mes croquis préparatoires, j’ai mis au point dernièrement une méthode qui utilise plusieurs plans au sol superposés. Ce n’est pas le type de plans que dessinent les architectes, même s’ils sont à l’échelle. J’ai remarqué que, plus je maîtrise l’exercice, plus il devient contre-productif. Je me suis demandé si les expositions que mes plans étaient censés préparer n’allaient pas commencer à leur ressembler. C’est quand on arrive à ce stade, précisément, qu’il faut se méfier de sa propre habileté.
Le projet auquel je travaille en ce moment exige un certain savoir-faire graphique et, à un moment, j’ai dû décider si j’allais continuer tout seul, puisque c’est un domaine que je maîtrise un peu. Après avoir tenté d’imaginer ce que mon degré de compétence pourrait donner, j’ai eu envie d’essayer de faire intervenir un graphiste venu de l’extérieur. Je me suis donc adressé à un professionnel à qui j’ai expliqué mon propos, tout en lui laissant carte blanche à l’intérieur de ce cadre général. Je voulais remettre en cause mon mode de création plastique. Cette idée me séduit comme facteur de productivité. Au lieu du système où l’auteur se charge de tous les aspects de l’œuvre, on aurait une méthode transversale reposant sur un socle plus large de règles et de savoir-faire.
PA : Comment ce principe pourrait-il s’appliquer dans les écoles d’art ? Vous enseignez également, et nous sommes ici dans une école d’art. Quel bénéfice pourraient en tirer les élèves ?
MB : C’est difficile, sinon impossible, de répondre de manière générale. Mon enseignement fait une large place à la réflexion sur les méthodes. J’évite de donner des tâches précises aux étudiants, même en première ou deuxième année, ou de leur dire comment ils doivent s’y prendre. Je leur présente des œuvres ou des projets qui m’ont plu. On parle de leurs conditions de création, de leur contexte, de leur technique, de l’idée qui les sous-tend, de leur mode de communication.
PA : Vous prenez donc des exemples concrets pour clarifier ces questions de méthode ?
MB : Oui, d’autres œuvres que les miennes, en général. Nous examinons des stratégies artistiques marquées par une profonde réflexion sur les méthodes, dans des domaines très différents. Nous regardons comment elles engendrent des formes. Je veux créer des situations où les élèves apprennent à penser leur mode opératoire, à se demander pourquoi et comment ils font certaines choses, pourquoi ils s’y intéressent. Certains étudiants sont frustrés au début, parce qu’ils attendaient des devoirs sur des sujets imposés. Mais au bout d’un moment, la plupart se ressaisissent et commencent à s’interroger sur leur vraie motivation : « Pourquoi me suis-je inscrit dans une école d’art ? » « Qu’est-ce que j’ai envie d’apprendre ? » Dans les entretiens individuels, je leur demande souvent ce qu’ils font en dehors des activités artistiques. Leurs réponses s’avèrent très éclairantes et fournissent peut-être un meilleur point de départ pour l’élaboration d’une stratégie qui corresponde à leur désir.
PA : Faites-vous un lien entre votre démarche artistique et votre mission de pédagogue ? Je discerne dans vos œuvres la traduction de certaines orientations pédagogiques, d’autant que vous ne travaillez pas vraiment pour le marché de l’art. Votre position vous le permet. Vous ne créez pas d’objets commercialisables et votre activité d’enseignant vous assure une grande liberté.
MB : Ce n’est pas tout à fait exact. Plusieurs de mes œuvres seraient parfaitement commercialisables. Il est vrai que mon public principal n’est pas celui des galeries et des foires d’art contemporain, du moins pour l’instant. Cela tient peut-être à d’autres aspects que l’absence de valeur marchande. Il n’y a rien de mal à se faire rémunérer pour son travail.
Vous évoquez la dimension pédagogique de mon travail. S’il y a une constante dans la plupart de mes projets artistiques, c’est l’attention portée aux rouages de la communication. Ce thème central se résume dans une formule empruntée à une exposition de cartes de vœux organisée en 1947 [au Brooklyn Museum] : « l’artiste en communication sociale ». Quel dialogue se noue entre l’œuvre d’art et le public ? Comment l’œuvre fabrique-t-elle un public ? Je dirais que c’est un aspect de la scénographie, au sens large où on l’entend actuellement. La scénographie est souvent au cœur de mon travail en raison du pouvoir d’action qu’elle peut induire dans le domaine de l’exposition. C’est peut-être ce que recouvre le terme « pédagogique » dans votre remarque. Je suis attentif à la faculté d’autonomie que l’exposition peut conférer aux spectateurs, aux angles de vue qu’elle lui offre, au mécanismes qui façonnent le regard, aux possibilité d’établir des relations, etc. Toutes ces questions sont liées à l’idée de scénographie. Finalement, on pourrait dire que mon travail d’artiste tourne autour de la notion de scénographie.
Peio Aguirre
École des Beaux-Arts, Bordeaux, 2 Février 2010