Benjamin Tong : Pouvez-vous raconter la genèse de l’édition spéciale du journal Aspen Times publiée à l’occasion des rencontres internationales du design à Aspen, du 20 au 24 juin 1971 ?
Sheila Levrant de Bretteville : J’aimerais répondre que j’ai suivi le conseil de Walter Benjamin, de regarder le « courrier des lecteurs » dans les journaux pour voir comment le spectateur devient acteur. Une fois citée cette source prestigieuse, je dois avouer des motivations plus immédiates et personnelles. On m’avait d’abord demandé d’écrire un article sur les rencontres d’Aspen en 1971, puis d’y donner une conférence sur le design dans une perspective féministe. J’imaginais la difficulté de passer la semaine à Aspen avec mon bébé en continuant à l’allaiter. Je pensais aussi qu’une certaine intégration horizontale permettrait de boucler un journal en huit jours au lieu des six mois nécessaires pour un hors-série. L’autre facteur, tout aussi décisif pour moi, était mon héritage familial de défense des valeurs égalitaires et populaires, ajouté aux expériences de démocratie participative de la fin des années 1960. Tout cela m’a conduite à imaginer un journal participatif créé avec le public et distribué le dernier jour du congrès.
N’ayant pas de baby-sitter ni de parents à qui confier le bébé, je l’ai emmené à la réunion avec le comité de pilotage des rencontres internationales du design, où j’ai exposé mon projet de créer un numéro participatif du Aspen Times au lieu de l’édition spéciale publiée après coup. C’était mon intention, mais, sans le soutien de Richard Farson, les membres du comité ne m’auraient sans doute pas donné le feu vert. Je n’avais aucune idée de l’aspect que pourrait prendre au final une publication qui refléterait les réactions et les méthodes des participants. Je me suis contentée de montrer le canevas d’ensemble que j’allais glisser dans les dossiers remis aux participants, et de décrire le mode de collecte des contributions.
BT : L’édition spéciale du journal se singularise notamment par son caractère participatif. À quelles préoccupations répondait ce choix à l’époque ?
SLdB : Il a eu plusieurs effets imprévus. La meilleure surprise, c’était l’aspect visuel plus vivant, moins élégant au sens classique, que tout ce que j’avais fait jusque-là... et même après d’ailleurs ! Vous savez, il y a cette liste dans le texte de Tom Finkelpearl pour le livre Raising the Rubble, sur les œuvres extraordinaires de David Hammons. D’après cette liste, l’édition spéciale du Aspen Times appartient à la catégorie « sales », et j’en suis ravie, alors que le reste de mon travail serait plutôt du côté du « propre ». Je ne remercierai jamais assez les spectateurs-acteurs, qui ont employé une grande variété de procédés visuels et m’en ont fait cadeau, permettant ainsi à une de mes œuvres de figurer parmi les objets et les artistes « sales » dans la liste de Finkelpearl.
Un autre enseignement précieux concernait le dilemme de la sélection, qui m’a marquée durablement dans ma démarche artistique. L’idéal, ce serait de tout garder et je suis malheureuse quand je n’ai pas la place pour tout le monde, parce que l’idée d’exclure m’est insupportable. La masse des réponses obtenues m’a prise de court. Je n’avais pas évalué à l’avance le nombre de participants et je n’avais pas comptabilisé les contributions parvenues à la résidence où nous étions logés sur le campus d’Aspen. Il y en avait beaucoup trop pour un journal de seize pages. Il faut dire à ma décharge que j’ai dû assister aux tables rondes tout en allaitant mon bébé, donner une conférence, répondre aux remarques formulées les jours suivants, m’occuper de mon petit garçon à tour de rôle avec mon mari Peter... c’était le maximum de mes forces. J’ai choisi les contributions les plus variées, tant par la forme que par le contenu, et je n’ai toujours pas fini de regretter d’en avoir éliminé.

BT : Quelles en sont les conséquences pour votre pratique actuelle de l’art ?
SLdB : Il m’a fallu un certain temps pour parvenir à marier le pérenne au perpétuellement changeant. Dans ma trajectoire, chaque installation in situ repose sur un dispositif plastique différent, de manière à inclure une infinité d’aspects dans l’ensemble des œuvres. L’importance que j’attache à cette dimension infiniment plurielle résulte directement des principes de démocratie participative défendus durant la période précédente, et de mon autocritique sur la sélection opérée pour l’édition spéciale du Aspen Times.
Par exemple, je recours assez souvent aux ellipses parce qu’elles offrent un espace pour les pensées du spectateur. Je l’avais fait pour la première fois en 1999, dans une installation au terminus nord de la plus longue ligne de métro de New York : la station 207th Street sur la ligne A. J’ai reçu récemment un mail de Frances Sadler qui habite dans ce quartier. Voici ce qu’elle écrit : « J’adore cette station [...] Ce que je préfère, c’est le panneau At Long Last. En général, je rentre chez moi bien après l’heure du dîner. Quand j’arrive devant le panneau, je répète les mots à haute voix en poussant un soupir. J’ai l’impression que l’univers entier partage les sentiments que j’éprouve à la fin de la journée. Surtout, cette œuvre me fait sourire. »
Ma démarche participative a franchi une autre étape avec un autre projet, exécuté dix ans après (en cinq jours) dans l’Oural. J’ai pu intégrer une possibilité de perpétuel changement dans une œuvre in situ pérenne. Avant de partir pour la Sibérie, j’avais lu un livre d’Israel Pressman qui m’a donné l’idée de recourir à la tradition régionale des tchastouchki, des poèmes populaires sous forme d’un ou deux quatrains. J’ai donc créé une dalle de seuil en béton pour l’ancien château d’eau au centre d’Ekaterinbourg. Avec mon interprète téméraire et six ou sept étudiants d’une vingtaine d’années, nous avons composé des tchastouchki contemporains. Là encore, le besoin d’improviser a favorisé la créativité. Quand je me suis aperçue à quatre heures du matin que je n’aurais pas le temps de découper tous les caractères cyrilliques dans du polystyrène, j’ai décidé de conserver seulement la première lettre de chaque mot et les signes de ponctuation. L’idée directrice tient tout entière dans une unique photographie prise pendant l’inauguration, où l’on voit un de mes jeunes assistants compléter les mots à la craie.

Les lettres manquantes suggèrent un effacement sélectif de l’histoire, l’apparente désagrégation fortuite d’une suite de caractères typographiques dont le sens reste quand même évident pour les initiés. C’était une façon de lancer à tout le monde une invitation « éternelle » (du moins autant que durera la dalle en béton) à participer à la construction du sens au seuil de la signification — et du château d’eau. Ce n’était pas prévu au départ. J’avais simplement le projet d’aller à Ekaterinbourg pour créer une œuvre publique pérenne. Mon amie Sarah Oppenheimer, une sculptrice qui appartient au même réseau d’entraide que moi, a noté dans un long mail ce que je suis en train de dire ici. Elle résume ainsi la situation : « Les acteurs culturels fournissent un chaînon ou une lettre manquante et la spécificité sociale du site apporte le complément de sens. »
BT : Les évolutions récentes, par exemple dans la technologie, ont-elles modifié certaines de ces idées ?
SLdB : Le web et tous les médias interactifs relèvent indéniablement du modèle participatif. En tout cas, les pionniers de l’internet avaient cette ambition universelle et participative. Le foyer des étudiants que j’ai créé dans un espace brut à l’Institut du design de Hong Kong, en 2010, abrite un écran LED étiré sur les trente mètres de longueur de la pièce. Cette salle commune est surnommée Wo Ju, « coquille d’escargot » en chinois, le terme utilisé pour désigner les mini-appartements, qui correspond aussi à l’une des trente-cinq conjonctions que l’on voit flotter sur l’écran. En chinois, ces unités grammaticales ne sont pas utilisées isolément, mais s’insèrent dans des phrases où elles relient un syntagme à un autre. J’ai pensé qu’elles inciteraient les spectateurs à envoyer des textos dont ils choisiraient le contenu et la couleur. Leurs bouts de phrases parcourent deux fois la longueur de la pièce avant de disparaître. Pas de censure : chacun est libre de participer ou non en se servant de son smartphone ou de son ordinateur, à l’adresse connect.respond@vtc.edu.hk

BT : L’absence de hiérarchie et de cadre strict dans l’édition spéciale du Aspen Times est de nature politique. Nous avons là un forum où une mosaïque de points de vue parfois contradictoires peuvent s’exprimer. Aviez-vous le désir de faire bouger les choses autour de vous à l’époque ?
SLdB : Mes œuvres in situ sont destinées à refléter et soutenir la population de l’endroit. C’est pourquoi la réaction de Frances Sadler compte tellement pour moi. La démocratie suppose une diversité d’opinions et nous amène à rencontrer dans les lieux publics des personnes que nous ne connaissons pas, qui sont peut-être différentes de nous. Il faut être capable d’accueillir ces différences. Partout où j’interviens, j’essaie de prendre en compte toutes les attitudes divergentes qu’implique la pluralité. À la station 207th Street, deux cent sept points de vue exprimés sur les carreaux de faïence redoublent et prolongent les points de suspension. Ils reflètent diverses conceptions de la vie dans ce quartier au fil du temps.
Mon idéal social est égalitaire et généreux. Il n’élimine pas les contradictions, ni les ambiguïtés, et ce principe sous-tend mon travail. À Hong Kong, j’ai essayé de créer un environnement qui soit extrêmement sécurisant tout en ayant des vertus pédadogiques. Pour tout dire, je voulais tenter d’infléchir une certaine frilosité diffuse, une aversion au risque. À Hong Kong, il y a partout des panneaux LED qui fournissent des informations aux passants. Les conjonctions sur l’écran de l’Institut du design invitent à s’exprimer. Je savais depuis le début qu’une œuvre totalement interactive exigerait un minimum de prise de risque. J’avais vu à quel point les étudiants de Hong Kong avaient du mal à participer alors que leurs camarades venus de Singapour se sentaient tout de suite à l’aise. Peut-être qu’à la longue, les conjonctions pourront contribuer à susciter d’autres modes de participation. En attendant, j’ai créé un lieu de détente et de convivialité. L’historienne du cinéma Esther Yau m’a raconté l’inauguration dès le lendemain : « Le LED était vraiment formidable, et quel bonheur de voir l’interaction créative ! Ce qui m’a plu, c’est ce que Yan et Phil sont intervenus physiquement dans l’espace, pour créer quelque chose de ludique et de stimulant avec ton LED. Ils ont saisi au vol la conjonction inattendue entre « justice » et « bananes »... n’est-ce pas toute la magie des conjonctions ? Yan a rappelé que l’ancien président de la Ligue des sociaux-démocrates de Hong Kong, défenseur de la justice sociale, avait jeté des bananes en pleine séance du conseil législatif. Cette alliance des mots « justice » et « bananes » me fait penser aux films loufoques du réalisateur hong-kongais Stephen Chow. En fait, le radicalisme politique et la justice sociale devraient engendrer la bonne humeur et la joie de récolter les fruits, au lieu de la morosité. »

BT : Comment l’édition 1971 des rencontres d’Aspen a-t-elle abordé, dans son organisation et son déroulement, les questions relatives aux théories et pratiques du design à l’époque ?
SLdB : Richard Farson et le comité de pilotage seraient mieux placés pour répondre. Ils ont manifestement choisi tous les intervenants en réaction à l’édition précédente des rencontres, où le maintien d’une hiérarchie et de privilèges avait provoqué une fronde des participants. Cette année-là, j’étais enceinte et encore sous l’influence de notre séjour à Milan, où Peter faisait partie du Team X regroupé autour de l’architecte Giancarlo De Carlo, avec qui j’ai eu de nombreuses conversations. Le graphiste Emanuel Sandreuter et moi avons dessiné une affiche pour le parti communiste italien sur le thème de la liberté de la presse et de la télévision. Avec Peter, nous avons manifesté contre la guerre au Vietnam aux côtés du fils de Giancarlo. Avant l’ouverture du CalArts, je travaillais déjà sur des projets en phase avec mes convictions démocratiques et participatives.
BT : Richard Farson, directeur de programmation des rencontres d’Aspen en 1971, était l’un des doyens fondateurs au CalArts, qui venait d’inaugurer son campus de Valencia en 1970. Et vous, vous faisiez partie des enseignants fondateurs à l’époque. Le CalArts a-t-il joué un rôle dans la conception ou l’organisation des rencontres d’Aspen en 1971 ?
SLdB : Richard Farson était le doyen fondateur du département de design au CalArts et il m’a toujours soutenue. J’ai créé tout le matériel graphique avec une latitude presque totale. Les premiers papiers à en-tête que j’ai dessinés pour le CalArts se composaient d’un assortiment de tampons. Quand j’y pense, je me dis qu’ils exigeaient un degré de participation qui n’a pas dû plaire au personnel du secrétariat. L’une de mes créations préférées reste l’affiche sous plastique Taste and Style Aren’t Enough (avec un texte de Richard Farson), qui figurait récemment à l’exposition « Now Dig This ! » organisée par Kellie Jones au MoMA PS1. Un groupe d’étudiants a participé à l’identité graphique des rencontres d’Aspen en 1971. L’un d’eux, Ronald Barnett, a dessiné le logo que vous voyez sur la première et la dernière page de l’édition spéciale du journal Aspen Times.

BT : Avez-vous tiré des leçons de ces rencontres d’Aspen pour votre enseignement au CalArts ?
SLdB : Les frontières entre les disciplines se sont délitées dans les années 1960 et 1970. Le pluralisme démocratique contribuait à décloisonner les matières. Cette transversalité a commencé à transformer mon travail et mon enseignement. Un jour, j’ai apporté en classe du matériel pédagogique utilisé à l’époque dans les collèges publics pour expliquer le cycle menstruel, et c’est là que j’ai employé la vidéo pour la première fois. En réfléchissant aux moyens d’améliorer ces documents nous nous sommes aperçus que ce qui leur manquait pour transmettre l’information, c’était le dialogue. Nous avons filmé une série de débats au CalArts, notamment une discussion entre des garçons et des filles de onze à douze ans, et une autre entre des adolescents de dix-huit à vingt ans. Ils échangeaient leurs idées sur le cycle menstruel, un sujet rarement évoqué en public.
BT : En lisant ce que les participants ont écrit dans l’édition spéciale du Aspen Times, on a l’impression que les rencontres de 1971 mettaient l’accent sur les questions sociopolitiques et sur les expériences dans le domaine des communications innovantes. Comment avez-vous vécu ces rencontres d’Aspen ? Pouvez-vous citer un moment ou événement particulièrement mémorable ?
SLdB : C’est peut-être difficile de comprendre comment j’ai vécu cette semaine où j’ai dû jongler avec de multiples obligations. C’était la deuxième fois seulement que je donnais une conférence. Et je n’étais jamais allée à Aspen auparavant. En plus de la nouvelle formule de l’édition spéciale, je devais gérer les relations avec l’équipe du Aspen Times, même s’ils étaient tous très gentils, et continuer à allaiter mon fils Jason alors que je le laissais à la crèche une partie de la journée. L’année précédente, j’avais animé un séminaire dans le cadre du Women’s Design Program mis en place au CalArts. Et pour ma conférence dans un amphithéâtre de Pasadena, j’avais choisi des images de mon travail illustrant ma volonté de combler l’écart entre les sphères publique et privée décrit par Virginia Woolf : « Devant nous, il y a la vie publique, l’univers professionnel, avec leur possessivité, leurs jalousies, leur pugnacité, leur cupidité. [...] La question que nous vous posons, c’est : comment accéder aux métiers tout en restant des êtres humains civilisés ? » Avec les étudiantes de mon séminaire, nous avions examiné les œuvres graphiques, utopiques et dystopiques, de Superstudio, et lu des textes de Catherine Beecher Stowe, Eva Figes, Germaine Greer, Shulamith Firestone et Betty Friedan. C’étaient ceux de Betty Friedan qui me causaient le plus de difficulté, parce que je viens d’une famille où les femmes travaillent depuis plusieurs générations, que ce soit dans des villes comme New York ou en Pologne. J’ignorais tout de la banlieue et de la vie qu’y mènent les femmes au foyer.
À Aspen, j’ai projeté des diapositives illustrant les attributs supposés des hommes et des femmes, en expliquant qu’ils étaient peut-être interchangeables, mais se retrouvaient quand même associés, soit au masculin, soit au féminin. Je suggérais de mettre les attributs féminins à la disposition de tout le monde pour parvenir à une société plus humaine. C’était le contraire de l’idée que les femmes devraient s’arroger les attributs présumés masculins afin d’avancer dans la société telle qu’elle est. En 1971, cette répartition binaire des attributs me paraissait nuisible pour la société où nous vivons. Betty Friedan, présente dans la salle, a été la première à prendre la parole à la fin de la conférence. Elle m’a accusée de renvoyer les femmes à leur foyer pour « faire le lit ». C’était une interprétation effroyable de mes propos. J’étais effondrée. Heureusement, j’ai pu demander si quelqu’un dans l’assistance avait compris les choses autrement.

BT : Quand on lit l’édition spéciale du Aspen Times, on sent la nécessité de remettre en question le rôle du créateur et un puissant désir de changement... c’est passionnant ! À votre avis, cet état d’esprit existe-t-il encore dans la théorie et la pratique actuelle du design ?
SLdB : Je connaissais les œuvres d’anciens résistants comme Giancarlo De Carlo et aussi celles de l’architecte Shadrach Woods. Les membres de Team X s’attachaient à créer des formes en accord avec les valeurs démocratiques d’ouverture. Je serais incapable de citer un graphiste, après El Lissitzky, qui ait su donner une traduction plastique de ses convictions politiques, jusqu’au groupe Grapus et à mai 1968. Aux États-Unis, l’inventivité se manifeste surtout dans les affiches de Victor Moscoso et quelques autres pour les salles de concert Fillmore et Avalon à San Francisco. Au théâtre, on la trouve dans les spectacles du Public Theater de New York où les comédiens se mélangent avec le public, actif ou passif. Je crois qu’il faut préserver aussi le droit de ne pas participer.
BT : Les problèmes à résoudre aujourd’hui sont-ils toujours les mêmes, ou avons-nous d’autres préoccupations ?
SLdB : La structure horizontale des mouvements Occupy et de WikiLeaks, ainsi que le travail effectué pour eux et avec eux par le groupe Metahaven, l’utilisation de l’internet dans la campagne présidentielle d’Obama pour toucher des électeurs qui n’avaient jamais voté avant, tout cela révèle des modes de relation nouveaux et très actuels, perçus comme tels par les gens que j’ai rencontrés en faisant du porte-à-porte à cette occasion. Les cursus de design qui intègrent la diversité de points de vue des étudiants et le brouillage des frontières entre les disciplines me semblent suivre le même schéma horizontal au sein de l’institution.
Quand je regarde les antécédents historiques de l’« œuvre ouverte » participative, je suis attirée par les démarches qui n’obligent pas les étudiants à reproduire ou perpétuer les conceptions du passé. Toutes ces pistes sont prometteuses. Hélas, la scolarité est hors de prix et la peur de s’endetter dissuade les populations à faibles revenus. À Yale, les aides financières sont généreuses, mais la plupart des étudiants en sortent endettés. Il y a beaucoup de paramètres négatifs. Ce qui est particulièrement détestable, c’est le goût de l’argent ostensiblement affiché dans bon nombre de nos institutions et chez les privilégiés. Toni Negri et Michael Hardt l’analysent très bien dans leur livre Empire, de même que le blogueur de Unemployed Negativity.
BT : Y a-t-il des mutations radicales qui s’opèrent en ce moment dans le domaine du domaine du design ?
SLdB : Nous avons toujours eu des étudiants attentifs à mettre le design au service des plus faibles, à travailler en lien étroit avec ceux qui partagent leurs convictions, à bâtir des solidarités et développer des réseaux autour d’eux. Ce doit être le principe général d’un cursus pédagogique. Chacun a le droit de définir sa démarche personnelle. Notre rôle est d’aider l’étudiant à acquérir une habileté, à devenir l’auteur de ses œuvres, et de lui présenter un large éventail de méthodes pour lui permettre de se forger la sienne propre au lieu d’imposer la même à tout le monde.
Entretien réalisé par mail par Benjamin Tong, Août 2012.