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Dans ce texte, Guadalupe Echevarria met en relation différents exemples révélant la puissance politique du pop dans différents contextes d’apparition spécifiques, à différents moments de l’histoire. De la naissance du folk américain au tropicalisme brésilien en passant par Bob Dylan, autant d’aperçus de la fonction transgressive d’expériences mettant en tension art, culture populaire et politique, à l’heure d’une pensée critique de l’ultralocal.

Guadalupe Echevarria est directrice de l’École des beaux-arts de Bordeaux.

“Bob Dylan aimait Rogerio Duprat”,
ai-je lu quelque part sans savoir trop où. L’arrangeur de studio, maestro pour beaucoup (David Bowie, David Byrne, Kurt Cobain, Beck… l’admiraient profondément), créateur de Tropicália avec Os Mutantes, Caetano Veloso, Gilberto Gil (et Helio Oiticica, Lygia Clark et Glauber Rocha), venait de faire un parcours étonnant depuis la création
de l’orchestre de chambre de São Paulo, avant d’être l’élève de Stockhausen à Cologne et de Pierre Boulez à Paris.

Qu’est-ce qui aurait pu les réunir à part l’expérience éprouvante pour chacun, de milliards d’heures passées en studio d’enregistrement ?
Le mouvement Tropicália a eu une influence incalculée encore de nos jours
sur la constitution des « scènes locales » occidentales et non-occidentales
depuis les années 60, et un impact sur le projet culturel de la révolution cubaine (en premier lieu pour l’Afrique) tant pour la musique,
la littérature que pour les arts plastiques et les centaines de lieux secondaires.
Il s’était reconnu dès le début dans le constructivisme et la plasticité
des modernes émigrés en Amérique Latine, mais surtout
dans le Manifesto antropófago (Manifeste anthropophage)
du poète et philosophe Oswald de Andrade, en 1928. Rien de plus approprié pour ce mouvement pop que de se penser anthropophage, primitif et ritualiste : ultralocal. Anthropophage comme enraciné, nourri de soi-même.
Il n’y a pas de modèle plus convaincant que Tropicália pour comprendre
quels étaient les changements culturels associés aux transformations,
à l’époque, des systèmes de production de masse, ni de la modernité post 40.

Les lettres surréalistes de Dylan, tout comme celles d’ailleurs
de Os Mutantes, sont fondatrices d’une ère littéraire nouvelle
pour la musique populaire, emportées aux Amériques
par les réfugiés antifascistes européens, porteuses d’un double
sens (comme déjà la pratique des bluesmen !), dans une société internationale hypocrite comme celle d’avant 68. À travers cette forme d’écriture, les artistes peuvent se concentrer sur l’expression automatique (rêves, associations libres)pour composer
des chansons comme pour peindre, et puis se laisser aller à d’autres cheminements du langage commun, jargon paysan et petit bourgeois américain, plus lockies, plus folk, ce qui est une façon
de dire plus plouc.

J’aime tout particulièrement les chansons de Dylan comme
A Hard Rain’s Gonna Fall ou Masters of War de l’album The Freewheelin’ (« L’irresponsable ») parce qu’il emploie là un style folk très âpre,
à la Woody Guthrie, façon communistes ex-méthodistes qui parcouraient les chemins de l’Amérique, cachés dans les trains avec des inscriptions
dans leurs guitares du genre « this machine kills fascists ».
Dans ses chansons surréalistes, Dylan fait des inventaires
de localisations géographiques du Big West avec des réminiscences préhistoriques, retour de plus en plus lointain à une sorte d’origine
ou de paradis perdu, à la manière d’un paradigme du paysage local. L’expérience vécue et la question de la localisation et du lieu commun
ont nourri les générations musicales et les arts pop depuis ce moment fondateur du début des 60’s. « Place for me is the locus of desire »
est la première phrase du livre The Lure of the Local : Senses of Place
in a Multicentered Society
, oeuvre d’une des premières écrivaines américaines qui a investi avec retentissement l’art pop, Lucy R. Lippard.

Dylan a fait de véritables efforts pour paraître plus plouc
qu’il ne l’était en réalité. Austérité transparente
de basse qualité. Un exercice de pur artifice pop.

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