edit !
From further (1967)
to nowhere (1977)
and beyond (2007)
Un entretien filmé et réalisé par Michel Aphesbero

Books Make Friends
Un film réalisé par Julien Crépieux, Mark Geffriaud et Yoann Gourmel

Un extrait de Friedrich Kittler, Gramophone, Film, Typewriter (1986) proposé et présenté par Patricia Falguières

Un entretien avec Matthew Stadler par Thomas Boutoux

Issue d’une famille de peintres, animaliers comme elle pour la plupart, Rosa Bonheur est née à Bordeaux, comme ce magazine aujourd’hui, près de deux siècles plus tard. Le père de Rosa, peintre lui aussi, était un homme influent au sein d’un environnement culturel exalté par le passage du brillant néoclassicisme du XVIIIe au romantisme éclectique du délire vernaculaire du XIXe, version ultra-locale.
Nous aimons Rosa Bonheur pour son côté loufoque et culotté. Nous aimons celle qui réussit à obtenir de la préfecture de Paris une autorisation de travestissement afin d’avoir accès aux foires aux bestiaux. Celle, encore, qui fut l’une des premières femmes responsable d’un établissement artistique : l’Ecole gratuite de dessin pour les jeunes personnes à Paris. Celle, enfin, qui afficha son homosexualité sans ménagement, prit le large, explora les grands territoires vierges à l’ouest de l’ouest, échappant au statut et au rôle assignés aux femmes peintres alors, et pour longtemps encore. La notoriété sociale que connut Rosa ainsi que le formidable succès commercial international que rencontra sa peinture nous fascinent, mais ce qui nous passionne par-dessus tout chez Rosa Bonheur, ce sont ses amitiés avec Buffalo Bill ou l’impératrice Eugénie, pionniers, comme elle, de techniques d’appropriation développées à partir de dispositifs tels que le remake, le re-enactement, l’allégorie et l’inventaire.

Rosa B. est le projet de deux institutions artistiques bordelaises qui sont des complices de longue date : le CAPC et l’École des beaux-arts. Qu’on se souvienne de la collaboration engagée en 1996 lors de l’exposition Traffic organisée par Nicolas Bourriaud, ou plus récemment avec One Night Stand, parmi bien d’autres actions et projets menés en étroite association. Ce magazine est un espace commun de réflexion et de discours sur les pratiques artistiques actuelles, un point d’intersection entre les préoccupations des uns pour les questions de transmission du savoir, de recherche, d’expérimentation autour de nouvelles pratiques ou manières de faire et de penser, et les efforts des autres pour définir un projet culturel et artistique précis et innovant capable de répercuter auprès du public, à travers la production d’œuvres nouvelles, d’expositions, de publications ou d’événements, les façons dont aujourd’hui les artistes pensent le monde, s’en emparent et le transforment. Chaque numéro de Rosa B. portera sur un thème précis, un sujet, une question qui nous semblent travailler nos deux institutions. Ce thème est défini par un comité de rédaction (composé d’enseignants de l’école des beaux-arts et de membres de l’équipe du musée) qui confie à un rédacteur en chef, différent pour chaque numéro, le soin d’articuler une réflexion à travers un ensemble de contributions qui peuvent être textuelles, mais également audio-visuelles.
En choisissant le numérique comme support de création et l’Internet comme mode de diffusion de Rosa B., nous faisons le pari que le web peut amener à faire exister une écriture critique réellement innovante, de nouvelles manières de parler des pratiques artistiques contemporaines et d’en saisir les enjeux, de nouvelles manières de regarder l’art aussi. Nous pensons que l’utilisation des médias actuels et du web (au-delà des questions d’économie et de diffusion qui préoccupent légitimement tous les médias traditionnels, presse papier, radio, télévision, et justifient leur déclinaison sur la toile) ajoutent des temporalités, des espaces, et des dispositifs parfois mieux adaptés que le support papier et le seul texte pour rendre compte de l’art d’aujourd’hui. Nous souhaitons que Rosa B. favorise ces approches plus déliées, plus inventives, moins formatées.

Ce premier numéro de Rosa B. est consacré à l’édition. Thomas Boutoux, enseignant associé à l’École des beaux-arts, éditeur indépendant avec Metronome Press et fondateur de la galerie-librairie castillo/corrales à Paris a été chargé de sa conception. Débuter l’aventure Rosa B. par l’édition, par les publications artistiques que nous aimons, les démarches dans le champ de l’édition et de la distribution qui nous semblent les plus pertinentes aujourd’hui, n’a rien d’innocent. C’est le point de départ nécessaire de la mise en œuvre de tout nouveau projet éditorial au sein d’un univers que l’on pourrait hâtivement considérer comme déjà saturé de publications (magazines, catalogues, sites internet, blogs, etc.). A la manière d’un curateur, Thomas Boutoux s’est employé à prélever dans ce tissu particulièrement dense des entreprises éditoriales singulières qui constituent autant de modèles, que ce soit pour leur cohérence esthétique à l’intérieur d’une démarche artistique (cf. le film d’une visite d’atelier de Mark Manders, artiste hollandais connu pour son travail de sculpture et d’installation, mais également responsable, en duo avec le graphiste Roger Willems, de la maison d’édition Roma Publications) ; leur fonction d’agent de résistance aux modalités de contrôles de pensée déployées dans nos sociétés contemporaines (cf. l’entretien réalisé avec le romancier, éditeur et activiste américain Matthew Stadler) ; ou encore les nouvelles stratégies économiques développées pour répondre de façon plus pertinente aux conditions de production et de distribution de l’édition artistique aujourd’hui (cf. l’entretien filmé avec le graphiste britannique Stuart Bailey éditeur de la revue Dot Dot Dot). Deux autres éléments complètent l’écologie éditoriale de ce premier numéro de Rosa B. : la publication et la première traduction française d’un texte historique du philosophe allemand Friedrich Kittler qui rappelle l’importance de la technologie dans l’histoire de la pensée moderne, et enfin la constitution progressive d’une nouvelle archive à partir d’un questionnaire adressé à un ensemble d’artistes contemporains sur les relations qu’ils entretiennent avec les supports imprimés.
Toutes les questions soulevées par ce premier numéro de Rosa B. sont au cœur de la réflexion qui anime de façon continue une école d’art comme un musée, autour des enjeux de la reproduction, de l’agencement des espaces et des situations, des limites du white cube de la salle d’exposition ou du contexte de l’atelier au sein de l’école. Elles contribuent également à nourrir des chantiers spécifiques auxquels se consacrent l’École des beaux-arts de Bordeaux autour des pratiques de l’édition et du graphisme depuis longtemps, et actuellement alors qu’est étudiée la possibilité d’un post-diplôme sur les pratiques de l’édition (Edit ! Recherches et pratiques autour de l’édition de demain) et que se préfigure le colloque « la norme et le support » organisé à l’Ecole à l’automne prochain. Quant au CAPC, ce premier numéro de Rosa B. s’inscrit dans son entreprise de redéfinition de ses missions. On ne peut plus s’accommoder aujourd’hui d’une politique éditoriale se limitant à des catalogues d’expositions, faisant fi de l’évolution radicale des modes de transformation du savoir et de l’information. On ne peut concevoir le musée comme un espace clos, protégé, faisant fi de notre nouveau rapport à l’espace et au temps. On ne peut plus considérer la notion de patrimoine artistique comme n’étant applicable qu’à des objets physiques identifiés. C’est tout le projet du musée qu’il faut revoir, et Rosa B. constitue un premier élément de réponse.

Guadalupe Echevarria,
directrice de l’École des beaux-arts de Bordeaux

Charlotte Laubard,
directrice du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux