Dans cet entretien vidéo, Stuart Bailey, 34 ans, anglais, basé aujourd’hui à NY (après des études à l’Université de Reading, UK, et la Werkplaats Typografie à Arnhem, Hollande), aborde ses pratiques plurielles d’éditeur-designer, révèle leurs paradoxes, coupe-à-travers-champs et s’attèle à la recherche de modèles économiques éditoriaux pertinents.
La librairie en sous-sol de Dexter Sinister est modeste. 16 mètres carrés, trois étagères et une poignée de bouquins. Cet atelier-librairie occasionnel basé au sud de Manhattan marque un des points d’ancrage (encrage avec un "e" serait plus judicieux) du polyfacétique Stuart Bailey. Ici vous êtes à pieds joints dans un diagramme. Un lieu ou s’énonce une critique des chaînes de production classique, s’explorent les mécanismes de l’édition à la demande, se façonnent de nouvelles stratégies sur la pertinence et la dispersion des objets.
Un enjeu inversement proportionnel à la modestie des apparences.
Ce que trafique Stuart Bailey avec David Reinfurt et Sarah Crowner qui ont crée Dexter Sinister, c’est le brouillage des rôles (écrivain, graphiste, curator, designer, critique, imprimeur), la remise en cause du découpage des tâches (production, édition, design, distribution) pour aller au plus près de l’idée. Pile poil. Just-In-Time comme credo. Une réflexion économique globale au service du projet. Pas de modèle assuré, une invention au jour le jour qui s’alimente aussi par sa remise en cause permanente. C’est l’au-delà du fanzine et du DIY, (même si Dexter Sinister utilise parfois les mêmes outils) qui est en question : support papier privilégié, dégagé de l’obsession monomaniaque, mais aussi, performance, expo, radio... ou l’alliage improbable d’un nouveau matériau, solide et fluide à la fois.
Stuart Bailey est aussi, avec Peter Bilak, le créateur de la revue Dot Dot Dot. Semestriel, 15 numéros au compteur depuis 2000, DDD s’affirme comme la chose la plus irritante depuis l’apparition d’Emigre (1984) pour les aficionados cramponnés au champ exclusif du design graphique. Elle est pourtant la revue la plus excitante apparue avec cette décennie. Son spectre ? Art-musique-langage, élargi à d’autres territoires, questionnés, chamboulés, recomposés. Face à tous ces magazines qui s’épuisent à tambouriner "style+contenu" sur leurs couvertures, DDD navigue loin au large, joue sur un décalage austère et déconnant, un non-design soigneusement designé, balayant cette notion floue de culture visuelle par une attention extrême portée au détail, un jeu de tensions entre les sujets, de références éclairantes et une dynamique régénératrice.
Michel Aphesbero