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Le désert : un hors champ culturel

À la fin des années 1960, le désert est une zone où viennent se disperser des mouvements centrifuges, rupture avec les mentalités de la société consumériste américaine. Traversé par les premiers road movies, les écrivains de la Beat Generation , les artistes du Land Art , les communautés hippies et les nudistes, le désert est le hors champ commun d’un décentrement. Il est investi d’un pouvoir cathartique, on lui prête le pouvoir de faire table rase des structures mentales de la culture occidentale.

Quel est le lieu fantasmé de la table rase aujourd’hui, quel est le lieu de projection porteur d’autant de promesses de transformations ?

La même année que la publication du texte de Dan Graham, Steve Di Benedetto, Peter Halley, Robert Nickas publient une conversation, “Etats de Sites”. Ils évoquent la radicalité des gestes opérés par Michael Heizer, Richard Serra et Robert Smithson sur les déserts américains et des marques que chacun d’eux a laissées sur ces territoires vierges devenus depuis, des sites médiatiques.

Au cours de cette conversation, il apparaît clairement que selon eux, le désert ne peut être réinvesti que comme des peintres ont utilisé la toile ou des curateurs le cube blanc : comme espace culturel. Mais peut-on aujourd’hui tenter une expérience du désert dissociée du poids de cette histoire et considérer la quasi saturation culturelle et médiatique de cet espace pour un fait acquis et par là, périphérique ?

Une brève expérience d’une arcadie collective

Sans nostalgie pour les rituels primitifs, ni fascination pour les grands espaces, ni admiration pour l’héroïsme d’artistes explorateurs, Daniel Dewar et Grégory Gicquel ont le projet d’acquérir un terrain dans le désert californien. Ce projet s’inscrit à la suite de leur intervention dans le parc botanique de Saint-Cyprien où ils ont renoué avec une tradition séculaire de la sculpture de plein air dans le pur respect des arts et traditions populaires, comme le ferait tout sculpteur sur pierre régulier. Là-bas, ils se sont postés dans la zone fantasmatique de l’art brut envisagé comme l’expérience esthétique d’une subjectivité radicale et, dans un geste pulsionnel et expressionniste, ils ont inscrit dans la pierre leur propre imaginaire codifié. Passant d’un traitement rustique à une figuration proche de l’hyperréalisme, ils ont court-circuité le romantisme folklorique associé à la sculpture sur pierre par un usage rigoureux des enjeux de la figuration. Dans un contexte américain, si la relation de mimétisme que Dan Graham décrit entre les « néo-hippies » et la « culture hippie originale » peut trouver quelque analogie avec la relation que ces deux artistes entretiennent vis-à-vis des artistes du Land Art , – s’ils sont poussés par une force centrifuge équivalente et font le même mouvement exploratoire que ces artistes qui quittaient le white cube à la fin des années 1960 –, la pratique sculpturale de Dewar et Gicquel sur une parcelle désertique saura se doubler de leur propre culture folk. Leur expérience sur une parcelle américaine s’annonce alors plus comme une dérivation à partir à la fois de gestes sculpturaux déjà imprimés sur ce territoire et des leurs, plus imprévisibles et déviants.

L’Arcadie, ailleurs et l’année prochaine

Invitée à intervenir sur ce terrain, je souhaite l’occuper par une expérience collective brève avec un “fast festival folk” : une forme courte pour une communauté de circonstance. Dans ce festival, les spectateurs seront aussi les participants, et leur participation en déterminera l’échelle et la nature, à la fois spontanée et programmée. Traditionnellement, un festival est le terrain d’expression de signes identitaires forts. Celui-ci sera le lieu d’expression de sous cultures aussi bien réelles que fictives et empruntées. Là non plus, il ne s’agira pas d’imiter des représentations culturelles locales ou exotiques mais d’intégrer des représentations qui ne nous appartiennent pas et de glisser vers des interprétations subjectives et fantasmatiques de l’Arcadie idéale qui seront alors soumises à l’interprétation des participants. Il s’agira donc autant de représenter que de vivre une forme d’intensité proche d’une Arcadie temporaire et localisée.

Fabien Vallos, qui a traduit le livre du philosophe et mythologue italien Furio Jesi [1] et qui tient un séminaire sur le festif et ses régimes d’intensité à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, a ouvert lors d’une conversation, des pistes de recherches que je suivrai sans doute jusqu’en Amérique. En voilà un extrait enregistré le 5 juin 2008.

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1. Furio Jesi, La fête et la machine mythologique , (1977), ed. Mix, Paris, trad. de l’italien par Fabien Vallos

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