← Retour à l'index

Retour

La hutte, la cabane, l’abris : le langage primitif de l’architecture

Abbé Laugier, Essai sur l’architecture , 1755 :

« Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes qu’il élève perpendiculairement et qu’il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers et sur celles-ci il en élève qui s’inclinent, et qui se réunissent en pointe de deux côtés. Cette espèce de toit est couvert de feuilles assez serrées pour que ni le soleil, ni la pluie, ne puissent y pénétrer ; et voilà l’homme logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir leur incommodité dans sa maison ouverte de toute part ; mais alors il remplira l’entre-deux des piliers, et se trouvera garanti. »

Chez Rousseau, ce qui caractérise l’homme dans l’état de nature, c’est un parfait équilibre entre ses désirs et les ressources dont il dispose. Dans son Essai sur l’architecture, l’Abbé Laugier affirme clairement que la nature est ce qui légitime sa théorie architecturale. Elle est un principe d’ordre, de simplicité et d’authenticité face à quoi l’architecture est pétrie d’habitudes, de jugements de goûts, de formalismes rigides, tous relatifs. À la recherche de principes de construction essentiels pour une architecture entièrement conforme à la raison et donc, atemporelle, l’Abbé Laugier, en architecte néo-classique, puise dans la tradition grecque les principes d’une construction rigoureuse, pensant sans doute atteindre dans la Grèce antique les principes élémentaires d’une architecture rationnelle et proche, d’un point de vue généalogique, d’un état primitif de la culture. Dans une recherche de fondements essentiels dans le passé, le “néo” classicisme désigne une reprise formelle de l’ancien dans laquelle s’exprime une filiation.

Vivre en "bon sauvage" dans une tradition rousseauiste adaptée au contexte du nouveau monde, c’est le projet de vie que Henry David Thoreau pratique et qu’il décrit dans ses mémoires, Walden ou la vie dans les bois en 1854 [1]. Thoreau y décrit son expérience de dépossession progressive de toutes les conventions sociales, des biens matériels et des progrès de la vie moderne. Contre ces facteurs d’aliénation “qu’on acquiert (...) plus facilement qu’on ne s’en débarrasse”, il prône une forme de désintéressement méditatif qui passe par la figure de l’ermite. Son expérience d’isolement temporaire qu’il a vécue pendant plus de deux ans dans une maison construite de ses mains au bord de l’étang de Walden, pose les bases d’une pensée anarchiste fondamentalement optimiste quand aux possibilités de la société démocratique américaine. Si, chez Thoreau, la maison, comme les habits et la nourriture sont des éléments essentiels à la survie humaine, son architecture doit répondre rigoureusement aux “besoins primitifs et les plus simples” de l’homme. Réduite à l’essentiel, l’architecture figure un contre-modèle de vie en société et trouve sa résolution idéale dans les tentes légères et temporaires des indiens Penobscot qui passent alors pour de “bons sauvages”. Ainsi, dans ce passage, à défaut du savoir faire indien, il propose de se contenter de percer une boîte en bois d’ouvertures pour faire usage de maison, un programme architectural minimum.

Thoreau fonde sa description d’une société meilleure sur un réel optimisme caractéristique de la première littérature américaine : “Ici, où il y a assez de pommes de terres pour tout le monde, et où chacun peut vivre paisiblement et sportivement comme les oiseaux et les abeilles...” Il désigne alors le “nouveau monde” de l’âge des pionniers et de la grande “Prairie” qui n’est pas encore marqué par la guerre civile et où la terre semble promettre des principes d’égalitarisme contraire à l’instinct de propriété développé chez l’homme social. L’état d’inconscience de “l’homme naturel” décrit par Rousseau correspond à une quête d’innocence chez Thoreau et se cristallise comme un idéal de vie chez les hippies des années 1960 qui tentent à leur tour d’inculquer à leurs descendants, “les néo-hippies”, cette “contre-culture” comme un donné de la nature.

Les Barbapapa, en 1971, développent leur propre contre-modèle architectural et construisent une maison de Barbapapa [2] parfaitement adaptée à leurs formes.

Retour

1. Henry David Thoreau, Walden ou la vie dans les bois , traduction de Louis Fabulet, © Editions Gallimard.
Tous les droits d’auteurs de la traduction de Louis Fabulet dont un extrait est reproduit sur ce site sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de l’œuvre autre que la consultation individuelle et privée est interdite.

2. Annette Tison et Talus Taylor, La maison de Barbapapa , Editions Les livres du Dragon d’Or, Paris, (1971), 2003.

Playlist